Dispositif de Pédagogie de Projet : intervention/insertion

De nouvelles frontières pour la construction de l’acteur social

Le politique, l’institutionnel et le pédagogique intimement imbriqués

 

Couëdel Annie

Université Paris 8 Vincennes à Saint Denis

 

 Résumé

L’article présente et analyse les différentes étapes qui, à travers le temps, ont abouti à la construction d’un dispositif pédagogique nommé « Pédagogie de Projet : insertion/intervention ». En amont, il décrit le lieu (le Centre universitaire expérimental de Vincennes) et le contexte sociopolitique à partir duquel, si ce n’est grâce auquel, il s’est progressivement construit. L’accent est mis autant sur la relation entre le contexte institutionnel et les acteurs de ce lieu que sur les interférences entre l’institution et le contexte politique de l’époque. En aval, le texte prend une tournure plus personnelle dans la mesure où son auteur a été l’un des protagonistes de cette expérience globale (dans le sens où s’interpénètrent le pédagogique, le social et le politique) qui s’est déroulée sur trois décennies. Le texte insiste sur le rôle central qu’ont joué les étudiants étrangers aussi bien que français. Bien que l’objectif de ce texte soit prioritairement la description d’une expérience vécue et le processus qui a abouti à la construction du dispositif, il ne fait pas abstraction des courants théoriques dans lesquels l’auteur s’inscrit : les théories d’apprentissage socioconstructivistes de Vygotski et de Bruner, la sociologie du langage de Bourdieu, le courant des pédagogies émancipatrices (Freire).

 

Mots clés

Pédagogie de Projet, Acteurs Sociaux, Université, Étudiants.

Vincennes ne laisse pas indifférent. On est pour ou contre, et violemment. Aux uns, Vincennes apparaît comme une abomination, l’ennemi à abattre, un lieu d’horreurs intolérables. Aux autres, elle est un haut lieu d’innovation. Écrire sur Vincennes, c’est donc prendre parti, c’est s’engager dans le camp des attaquants ou des avocats.

                                                                   Bertrand Schwartz, Vincennes ou le désir d’apprendre[1]

 

Préambule

Le texte qui suit est la présentation d’une expérience diachronique qui a abouti à la construction d’un dispositif pédagogique. Cette construction est devenue possible grâce à l’imbrication d’éléments du contexte institutionnel, d’actions collectives, de lectures, de rencontres. Cependant, l’écriture obligeant à une présentation linéaire, ce texte ne peut rendre compte de la façon dont les différentes pièces du puzzle de cet ensemble complexe se sont imbriquées les unes aux autres en relation et en interconnexion avec le contexte et avec, pour protagonistes, les étudiants. Il aurait été possible de mentionner les recherches, les rencontres  qui, chemin faisant, ont apporté a posteriori un éclairage théorique à la problématique d’une construction collective de l’acteur social. Ce texte aurait été d’une autre nature[2]. Je me suis volontairement limité à présenter les moments clefs qui ont présidé à l’élaboration du Dispositif de Pédagogie de Projet : intervention/insertion (DPP:i/i), à travers le temps, tout en insistant sur le rôle primordial que joue le contexte sociopolitique et institutionnel dés lors que l’on ne veut pas couper le politique du pédagogique – d’où l’intitulé de ma thèse de doctorat soutenue en 1983 « Pédagogie e(s)t politique ». Ce dispositif s’inscrit dans le sillage des pédagogies sociales, en particulier celle de la conscientisation de Paulo Freire et du socioconstructivisme de Vygotski et Bruner.

 

Le contexte

À la création du Centre Universitaire Expérimental de Vincennes[3], l’élément dynamique est constitué par de jeunes enseignants et étudiants soucieux de continuer le combat amorcé en 68 et par des salariés, militants politiques et syndicaux, qui sont de plain-pied avec eux. La présence d’universitaires étrangers – pour une grande part des réfugiés politiques – et d’étudiants étrangers issus majoritairement du Tiers-Monde (comme on disait à l’époque) nous met en relation avec les questions culturelles et politiques du monde entier. Nous sommes tous désireux de jouer un rôle actif dans l’élaboration de nouveaux savoirs, d’ouvrir les débats sur le monde contemporain, de bâtir une université nouvelle qui ait un impact sur la société. Se mettent en place des dispositifs pédagogiques où les étudiants se structurent en groupes de travail et de recherche, l’enseignant devenant animateur d’un travail collectif au lieu de transmettre des savoirs par le cours magistral où la parole de l’enseignant est la seule référence. Sauf exception, les étudiants choisissent librement leurs UV[4], discutent les propositions des enseignants, les formes de travail et les modalités d’évaluation. Les notions de niveaux et d’examen couperet donnant plus d’importance à l’élimination qu’au processus de formation, sont radicalement proscrites.

Une des caractéristiques du Centre est son ouverture aux adultes et travailleurs non-bacheliers, à l’inscription massive d’étudiants étrangers venus en grande majorité des pays en voie de développement, soutenus par de fortes actions militantes lorsqu’apparaîtront les lois visant à contrôler l’accès des étudiants étrangers en France. L’un des moteurs de ces actions a été la ‘section pratique’ du département FLE qui deviendra très tôt un lieu à valeur symbolique. Tous les débats sur son existence et son fonctionnement porteront en même temps sur l’ouverture ou la non ouverture à ces publics non traditionnels.

Le département FLE est composé de deux sections : Méthodologie et Français pratique. Il est conçu dans l’esprit de ceux qui le crée comme un lieu de formation pour les futurs enseignants de français à l’étranger. Les cours de français pratique doivent uniquement servir de classe d’application des méthodes audio-visuelles enseignées aux étudiants de méthodologie et non comme un enseignement universitaire à l’intention des étudiants étrangers. D’où dès les premiers moments de sa création, le conflit ouvert entre les deux sections. Les praticiens rejettent les méthodes et entendent répondre aux préoccupations des étudiants en mettant à profit le contexte. Ce que veulent les étudiants, c’est avoir droit à la parole, débattre, jouer un rôle actif dans le jeu institutionnel. 

A Vincennes deux conceptions de l’université s’affrontent. Une vision critique de l’université ouverte sur le monde contemporain qui s’oppose aux aspects les plus figés de l’université – cours magistral, programme figé dans le « polycopié », examens couperet donnant plus d’importance à l’élimination qu’au processus de formation. Et une conception moderniste (qui touche à des degrés divers la plupart des enseignants y compris ceux qui sont sensibles au climat contestataires) incarné par les responsables du département anglo-américain (et plus généralement des départements de langue) qui  ont cherché à augmenter la proportion des linguistes afin d’appuyer l’enseignement sur les théories les plus en pointe et sur les techniques les plus avancées (laboratoires de langues, nouveaux medias, comme la télévision). Pour consolider les formations, ils font appel à des enseignants qui ont fait leurs preuves à l’Université de Michigan, haut lieu du structuralisme américain (alors sur le déclin) et dont ils adoptent les tests de niveaux. Cette conception se reflétera dans la structure pédagogico-administrative et le partage des tâches enseignantes. S’affirme la dichotomie entre théorie et pratique : l’enseignement de la langue ne saurait se confondre avec la recherche[5] d’où la lutte incessante que devront mener les enseignants de la section F.P. contre les méthodologues  et les départements de langue pour être reconnus comme enseignants-chercheurs.

 

Un tout autre contexte (1975-76)

Quand les militants progressivement disparaissent, que les effectifs gonflent, que la masse des étudiants salariés ou étrangers n’est plus composée de gens libérés dans leur parole mais sont pour la plupart complexés par l’arrêt de leurs études ou leur manque de maîtrise du discours universitaire, l’hétérogénéité est alors considérée comme insupportable. Il n’est plus question, dit-on, d’accepter les “analphabètes”. Il faut remettre de l’ordre, trier, instaurer des tests de niveaux : c’est la course aux habilitations et aux diplômes et le retour aux cours magistraux. Les cursus se rigidifient sous prétexte de cohérence et d’exigence scientifique. Le travail en groupes est progressivement rejeté. À l’occasion de la longue grève contre la réforme des 2ème cycles (Touraine et al, 1978), licence et maîtrise, qui s’est développée sur près de quatre mois, de février à mai 1976, dans la plupart des universités et s’est soldée par un échec, les “méthodologues”, sévèrement contestés, décident de faire scission et de rejoindre l’Institut de Linguistique Appliquée et de Didactique des Langues (ILADL). Ce démantèlement du département n’est pas innocent. L’intention de l’université, à peine dissimulée, est de transformer la section F.P. en une structure pré-universitaire, qui serait payante de préférence, à l’instar de ce qui existe dans d’autres universités, et qui deviendrait le passage obligé des étudiants étrangers qui n’ont pas le soit disant niveau requis pour intégrer un cursus universitaire.

C’est dans ce contexte de conflit et d’affrontements que je deviens responsable du département FLE amputé de sa section Méthodologie.  Pour ne pas perdre le statut de département, nous n’aurons d’autre choix que de nous battre pour obtenir de l’université la création d’une section que nous baptiserons Enseignement du Français Langue Étrangère en France (EFLEF) pour marquer la spécificité de notre enseignement[6]. Les enseignants se constituent en collectif de mobilisation.

La lutte du Comité de défense n’est pas étrangère au départ des méthodologues. L’année qui a précédé la longue grève contre la réforme des premiers cycles, un arrêté ministériel[7] a été approuvé à l’unanimité par la Conférence des Présidents annoncé dans un article de Frédéric Gaussen paru dans le Monde du 24 avril  1974 auquel personne n’a semblé prêter attention. L’Arrêté Soisson instaure un système de numerus clausus à l’égard des étudiants étrangers dont le quota ne devrait pas dépasser 10%. La priorité est donnée aux étudiants des pays à technologie avancée aux dépens de ceux des pays en voie de développement. Il encourage les universités à imposer, en plus de l’équivalence du baccalauréat, des conditions d’ordre pédagogique, linguistique et matériel. Il confie le pouvoir effectif de décision aux attachés culturels en leur demandant d’effectuer une présélection selon des critères sociaux, politiques et économiques.  

Une Note d’orientation du Conseil d’université restée confidentielle, est interceptée. Alors que l’application de cet arrêté est laissée au libre arbitre des universités, on apprend que notre université est prête à le mettre en place.  Mon UV s’empare de cette information et décide de se constituer en Comité de défense des étudiants étrangers. L’article du Monde et la Note d’orientation sont largement diffusés et les interventions des étudiants dans l’université provoquent une forte mobilisation ce qui fera reculer le Conseil de l’université[8].

L’engagement des étudiants dans la lutte pour l’abolition de l’Arrêté Soisson a servi de révélateur[9]. Dans ce contexte spécifique le langage est devenu un instrument d’action et de pouvoir pour les étudiants. Impliqués solidairement dans la lutte, ils ont pu surmonter les obstacles, y compris langagiers, en préparant leurs interventions pour les assemblées générales, en analysant les textes issus de l’université et de la presse, en rédigeant des tracts. En devenant acteurs, ils se sont appropriés les codes et modes de la communication, le langage spécifique à Vincennes et ont appris à décoder les rouages institutionnels. En participant à l'histoire de Vincennes, ils en faisaient eux-mêmes l'histoire.

Grâce à cette conjoncture particulière, j’ai pris conscience de l’importance de l’approche sociologique que Bourdieu a du langage. (Bourdieu, 1982).  Il substitue : « à la notion de grammaticalité la notion d’acceptabilité du langage ou, si l’on veut, dit-il, à la notion de langue la notion de langue légitime ; aux rapports de communication (ou d’interaction symbolique) les rapports de force symboliques et du même coup, à la question du sens du discours la question de la valeur et du pouvoir du discours ; enfin et corrélativement, à la compétence linguistique le capital symbolique, inséparable de la position du locuteur dans la structure sociale » (Bourdieu, 1977). Bourdieu fait la distinction entre la compétence linguistique (la capacité d’engendrement infini de discours grammaticalement conforme) et la compétence pratique (la capacité de produire des phrases à bon escient, à propos) : « La maîtrise pratique du langage s’acquiert dans des situations réelles que Bourdieu oppose « aux situations irréelles de l’apprentissage scolaire – où le langage est traité comme lettre morte, comme simple objet d’analyse – c’est-à-dire hors de toute situation pratique » (op.cit. 18). Le problème rencontré par les élèves dans les situations réelles est qu’ils se trouvent dans  l’impossibilité de mettre en œuvre «la compétence savante (ou  scolaire)» qui leur est enseignée (op.cit.). «Le langage est une praxis : il est fait pour être parlé, c’est-à-dire utilisé dans des stratégies qui reçoivent toutes les fonctions pratiques possibles et pas seulement des fonctions de communication » (op.cit.). C’est dans des pratiques sociales concrètes, en situation, que s’acquiert la maîtrise du langage, et non dans l’univers clos de la salle de cours, d’où la nécessité d’une non rupture entre le dedans et le dehors : «La compétence pratique est acquise en situation, dans la pratique : ce qui est acquis en situation, dans la pratique, c’est inséparablement, la maîtrise pratique du langage et la maîtrise pratique des situations, qui permettent de produire le discours adéquat dans une situation déterminée (op.cit).

Quel dispositif pédagogique mettre en place pour que les étudiants s’engagent dans des pratiques sociales, aient prise sur leur environnement et maîtrisent le langage de  l’institution ? Il ne s’agit pour eux seulement d’être compris, mais d’être crus, respectés, reconnus, ce qui suppose qu’ils connaissent le contexte et qu’ils soient capables de maîtriser l’usage dominant de la langue de l’institution qui seul leur donne véritablement droit à la parole : « Toutes les transactions linguistiques particulières dépendent du champ linguistique, qui est lui-même une expression particulière de la structure du rapport de forces entre les groupes possédant les compétences correspondantes (ex. langue « châtiée » et langue « vulgaire » ou, dans une situation multilingue, la langue dominante et la langue dominée) » (op.cit.19).

 

Susciter de nouvelles dynamiques sociales

A Vincennes, comme dans les autres universités, on a peu à peu assisté à une régression : tendance à la normalisation, retour à des cours traditionnels et à une structuration plus rigide des enseignements, réapparition de l’individualisme et du besoin de sécurisation, tout ceci étant lié, entre autres, à l’aggravation du chômage à la non-reconnaissance sur le plan national de certains diplômes, à la mise en application de divers décrets et circulaires. Dans ce nouveau contexte, il est devenu de plus en plus rare que les étudiants aient la parole et prennent l’initiative : les U.V. se sont refermées sur elles-mêmes autour de l’enseignant. Comment susciter de nouvelles dynamiques pour que les étudiants prennent leur sort en main, se mobilisent pour faire émerger des forces vives face à la léthargie ambiante.  

La menace d’un déménagement de Vincennes à Marne La Vallée que chacun interprète comme la volonté du gouvernement de démanteler notre université, pèse lourd sur la collectivité vincennoise. On redoute que le gouvernement ne saisisse l’occasion pour   réduire de façon drastique  le nombre d’étudiants étrangers à Paris 8 dont le pourcentage  a atteint 45% des effectifs. Nous sommes à deux ans du possible déménagement. Je décide d’engager les étudiants dans la réalisation d’un film de défense de Vincennes et d’intituler mon cours : « UV expérimentale : langue et vidéo, création collective ». La vidéo portable permet de réaliser des interviews auprès des usagers de l’université, de rester en phase avec l’actualité, de gommer la frontière entre l’extérieur et l’intérieur. Il me paraît inconcevable que l’UV reste en marge d’un combat qui nous concerne tous. Quelle université voulons-nous pour quelle société ? Une interrogation qui est plus que jamais d’actualité.

 

Vivre la langue

Avec l’appui d’une amie collègue de Vincennes, Marielle Burkhalter, du Département de Philosophie qui nous initie au maniement de la vidéo, nous réalisons un premier film en 1978, “Vincennes comme espace vécu »[10] qui sera diffusé à plusieurs reprises y compris auprès de nos détracteurs[11]. Ce début d’expérimentation va donner lieu à une première publication « Langue et vidéo, création collective » (Couëdel, 1979).

A la rentrée universitaire 1978-79, deux enseignants du département, Françoise Chiclet et Jean-Pierre Soucaille, rejoignent l’U.V. expérimentale. Les étudiants déterminés à poursuivre l’expérience, décident de présenter le film aux nouveaux venus. Ils feront  d’eux des adeptes qui choisiront de réaliser un documentaire qu’ils intituleront Vincennes à Vincennes, le slogan des militants contre le déménagement de l’université.

La vidéo portable étant mis à la disposition du groupe, certains étudiants se saisissent de la caméra pour filmer le déroulement de l’UV dés les premières séances. Ils parviennent à convaincre le groupe de faire un film sur l’expérimentation elle-même. Le premier projet confronté à la pratique de l’UV va se modifier en un projet plus vaste, Vivre la langue, intégrant l’« extérieur » – le contexte institutionnel basé sur les interviews – qu’ils mettront en liaison avec « l’intérieur » – une réflexion sur l’expérience pédagogique et le vécu du groupe dans le déroulement de l’UV. L’objectif initial n’a pas été abandonné: la réalité de Vincennes comme université expérimentale est ainsi démontrée, non plus par le regard porté sur la pratique des autres, mais grâce aux témoignages des étudiants sur une pratique originale, la leur. Le projet comprenant la transmission de cette recherche, il n’aurait pas abouti si ce film-témoin n’était pas sorti du cadre vincennois. C’est grâce à la dimension pédagogique que le groupe a voulu donner au projet que cette « extériorisation » a pu se produire et que leur objectif a été atteint. C’est ainsi que nous allons être sollicités pour présenter le film dans le 2ème colloque international du GRAL (Groupe de Recherche d’Acquisition des Langues).

Nous y présentons une communication (Couëdel, 1981) dans l’atelier « L’activité langagière des apprenants en milieu institutionnel » avec Françoise Chiclet et Jean-Pierre Soucaille. Les participants de cet atelier sont impressionnés par la part active prise par les étudiants dans la défense de VIVRE LA LANGUE[12] qui suscite des débats contradictoires, voire même houleux et passionnés à la fois. « L’impact qu’ont pu avoir les étudiants, écrit Jo Arditty dans la synthèse de notre atelier (Arditty, 1981 : 81), « manifeste que l’on n’a pas affaire ici à une « méthode » dont les recettes permettraient de se tirer de tous les types de situation didactique, mais à une problématique dont le fondement est la reconnaissance de la diversité des personnes et des réseaux de relations dans lesquels elles sont impliquées. Il existe heureusement de multiples tentatives de construction à partir d’une telle prise en compte, qui relèvent donc de la même problématique. Il est regrettable, mais guère étonnant, que les praticiens qui les mènent aient tant de difficultés à sortir de leur effacement-isolement. Mais ceci est une autre histoire … ».

 

Saint Denis : de nouvelles perspectives : ECHO-graphie (1981)

L’expérience de Vivre la langue a porté plus particulièrement sur les facteurs psycho et sociocognitifs qui interviennent dans l’acquisition et la maîtrise du langage dans une situation d’interactions. L’acquisition de l’écrit n’a pas été pour autant négligée, grâce à la tenue d’un journal de bord hebdomadaire que les étudiants doivent rendre à l’enseignant à chaque séance où ils racontent et analysent au fil de la plume ce qu’ils ont vécu lors des six heures de la semaine précédente[13]. Cette nouvelle expérimentation va porter sur la question : comment maîtriser l’écrit universitaire ?

À Saint-Denis, le contexte est propice. Le déménagement a des répercussions très vives sur ses usagers. À la rentrée universitaire 1980-1981, quand nous arrivons à Saint-Denis dans ce nouvel environnement, nous n’avons plus aucun repère. Je propose aux étudiants de créer un journal pour contribuer à reconstruire le lien social. C’est ainsi que naît le journal ECHO-graphie [14].

Les étudiants vont se sentir investis d’une double mission: vis-à-vis des usagers de l’université en devenant leur porte-parole, vis-à-vis du Département Français Langue Étrangère, face à l’institution[15]. Ils vont très vite adhérer à l’idée de présenter une communication avec vidéo à l’appui, au 3ème colloque international du GRAL[16]  et répondront aux questions et aux critiques des enseignants-chercheurs avec la même opiniâtreté que lors de la présentation de Vivre la langue.

Ce que veulent atteindre les étudiants, c’est une écriture qui ne relève pas d’une expression stéréotypée tout en sachant qu’ils doivent se conformer la norme sociale pour être lus et entendus. Le journal ECHO-graphie leur permet de rendre visibles les échos de la fac – d’où le choix du titre – selon leur mode de prédilection, de s’exprimer sous les formes les plus diverses : dessins humoristiques, montages, caricatures, transcriptions d’interviews, roman de science-fiction, enquêtes menées dans l’université, etc. 

Au second semestre de l’année universitaire suivante (1981-82), ils décident de s’impliquer dans la préparation des Assises de l'Université qui doivent se tenir en mai. Ils lancent un appel auprès des enseignants et étudiants du département F.L.E. pour demander leur contribution pour le second numéro d'ECHO-graphie sur la base d’enquêtes et de témoignages sur les pratiques sélectives à Paris 8. Ils comptent aussi, lors des Assises, mettre en avant le rôle primordial que joue le Département FLE dans l’insertion et la réussite des étudiants étrangers. Ce numéro sera largement diffusé dans l’université.

C’est grâce à l’engagement constant et à la pugnacité des étudiants que le département va être enfin perçu favorablement et qualifié de « pièce maîtresse de la politique de l’Université à l’égard des étudiants étrangers » (Conseil de l’Université, 1981). En mars 1982, un article "FLE, Nouvelle du front"[17] paraît dans le premier numéro du magazine Le Saint qui annonce le projet de transformation de Français Langue Étrangère en ‘Département de Communication/FLE’[18]. Ce département va pouvoir accueillir des étudiants français désireux de parfaire leur expression orale ou écrite. La gestion administrative et pédagogique de ce nouvel enseignement au sein du département sera confiée à Jean-Pierre Soucaille[19].

 

Par-delà les frontières

Le projet ECHO-graphie brouille déjà quatre frontières (Couëdel, 1997), la frontière qui sépare les étudiants étrangers des étudiants français, la frontière entre les disciplines, la frontière entre les différents niveaux de langue et d'études. Une nouvelle frontière va être franchie, celle des murs de l'université: pourquoi ne pas créer un Centre interculturel à Paris 8 ouvert sur la cité ? En 1983-84, mon UV décide d’organiser un festival interculturel avec appel à participation de tous les secteurs de l’université et de la ville de Saint-Denis. Nous considérons ce festival comme un banc d’essai. Remporterons-nous l’adhésion des usagers de la fac?

Les étudiants de l'U.V, une trentaine d’étudiants de diverses nationalités, décident de s'appuyer sur le potentiel intellectuel, culturel et artistique de l'Université et de procéder par voie d'affiches et de tracts à la programmation du Festival. Ils parviennent à impliquer tous les acteurs de l'Université, étudiants, enseignants et administratifs, mais également des partenaires de la ville de Saint-Denis. Ils prennent contact avec les secrétariats de l'université pour qu'ils assurent le relais pour le courrier et le téléphone, rencontrent les commerçants de la ville pour solliciter leur soutien financier, font des démarches auprès de la mairie pour l'obtention d'un podium et le tirage du programme, appellent les associations de la ville à se joindre à eux pour produire des spectacles, animer des débats ou tenir des stands.

Le groupe d'étudiants se répartit les tâches en se scindant en sous-groupes, chacun est responsable d'une activité en particulier : débats, concerts, projections de films, théâtre, stands gastronomiques. Certains s'occupent plus particulièrement de la réalisation de la maquette du programme, d'autres de la recherche de sponsors et d'encarts publicitaires, d'autres encore de l'aspect publicitaire (rédaction et diffusion de tracts, contact avec la presse et les radios périphériques, collage d'affiches). Le journal ECHO-graphie n’est pas abandonné pour autant. Il continuera à jouer son rôle de support médiatique[20].

Devant le succès remporté, les étudiants, avec des enseignants et des administratifs de l'Université, décident de créer une Association loi 1901 de façon à pouvoir mettre en place sur des activités tout au long de l'année universitaire. C'est ainsi que naît le Centre Interculturel de Vincennes à Saint-Denis, le C.I.V.D., qui renouvelle chaque année son Festival depuis 1984[21].

Sur sa lancée, le Centre Interculturel[22] – qui ne se distingue pas de l’UV d’autant que nous n’obtiendrons un local qu’en 1986 – conçoit très vite le projet d'entrer en contact avec des Universités étrangères. Ce projet naît grâce à un étudiant en animation socioculturelle qui est membre du Conseil d'Administration du C.I.V.D. et en contact avec l'Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (O.F.A.J.), la Fachhochschule de Hambourg (F.H.S.H), la Scuola per Operatori Sociali di Milano. Un premier cycle de rencontres interculturelles est organisé sous l'égide de l'O.F.A.J. permettant ainsi au C.I.V.D. de s'associer à ces deux institutions universitaires sur le thème "L'identité professionnelle, culturelle et sociale des éducateurs/animateurs". Ces rencontres de trois semaines chacune, se tiennent en Allemagne, en Italie, puis en France. Ce premier cycle de rencontres regroupe dix étudiants du C.I.V.D., huit de la F.H.S.H., et neuf de la Scuola di Milano. Parallèlement à ces rencontres, un programme d'échange se met en place : deux étudiants de chacune des Institutions peuvent venir en auditeurs libres pour un ou deux semestres, avec une bourse de l'O.F.A.J. [23].

 

L’Emprise du sens

De Vivre la langue est né ECHO-graphie, d’ECHO-graphie le Festival qui, lui-même, a engendré le Centre Interculturel et ses multiples ramifications, duquel va naître L’Emprise du sens. Les projets s'engendrent les uns les autres et se métamorphosent.

Deux enseignantes russes de français vont participer à mon UV théorique de maîtrise FLE. L’une d’elles, Tatiana Kalentieva, est la responsable du département FLE à l’Université d’Irkoutsk. Son université entretient de longue date un programme d’échanges avec Paris 8 dans le cadre des Relations internationales. Comme tous mes étudiants de maîtrise, elles vont elles aussi participer aux ateliers de conception et réalisation de projets. Les étudiants sont en effet tenus d’y participer dans la mesure où, d’une part, je n’entends pas couper la théorie de la pratique et, d’autre part, je suis convaincue qu’on ne peut transposer le dispositif dans un autre cadre que celui de Paris 8 sans avoir pratiqué, étudié sur le terrain et compris « de l’intérieur » les différentes pièces constitutives du puzzle qu’est le dispositif[24].

Très vite Tatiana Kalentieva va nous passer une commande: un film vidéo destiné à illustrer une communication qu’elle me propose de faire dans le cadre d’un colloque sur l’interculturel qui doit se tenir l’été suivant à l’Université d’Irkoutsk. Deux anciens étudiants du Département cinéma vont venir filmer le déroulement de l’atelier de projets et les discussions qui auront lieu lors du bilan de fin de semestre.

Le film qu’ils réalisent, L’Emprise du sens, s'ouvre sur une séquence montrant les étudiants en train de travailler en groupes. Un groupe s'est constitué en comité de rédaction pour coordonner le journal ECHO-graphie. Le groupe Los olvidados a décidé de créer un nouveau journal pour donner la parole aux habitants de la cité voisine sur leurs conditions de vie. Paris mystère, prépare un jeu de piste dans la capitale. Une équipe de travail organise un festival interculturel dans le cadre du Centre Interculturel de Paris 8, une autre est en quelque sorte un comité de vigilance : le local du CIVD doit être délocalisé dans la fac et il s’agit de ‘veiller au grain’ (Couëdel, Stamelos, 2004). Un autre groupe, La Gouve, réalise un fanzine qui sera plus tard commercialisé. La caméra s'attarde plus particulièrement sur le groupe Erê Brasil qui discute avec un cinéaste reporter brésilien du meurtre d'un éducateur de rue de Rio qui vient d'être tué par les escadrons de la mort. Ils sont en train de mettre sur pied une journée de sensibilisation à Paris 8 sur les enfants et les éducateurs de rue à Rio[25].

Le film L’Emprise du sens montre le fonctionnement du dispositif selon ses différentes phases. Les trois premières séances sont décisives pour que les étudiants se prennent en charge. La première séance commence par une plénière en grand groupe disposé en cercle. L’enseignante[26] explicite les raisons qui l’ont conduite à mettre en place le dispositif et les fondements théoriques qui le sous-tendent. Elle présente ensuite des projets déjà réalisés pour que les étudiants comprennent la nature des projets à réaliser[27]. Les étudiants se mettent alors en groupes de cinq à six, de façon aléatoire, pour faire émerger des idées de projets. La dernière heure est consacrée à la présentation de chaque étudiant individuellement et des idées de projets qui ont émergé de son groupe. Lors de la séance suivante, la première heure est consacrée à la récapitulation des idées de projet émises. L’enseignant propose que les porteurs de projets dont les projets ont une similitude entre eux se retrouvent en un même sous-groupe. Ainsi commence à se constituer les groupes-projet. Les étudiants remettent leurs journaux de bord, comme ils devront le faire chaque semaine. Deux heures plus tard, en séance plénière, chaque groupe fait la synthèse des échanges qui se sont opérés.

A la troisième séance les groupes-projets sont en général constitués[28]. Commence alors le rituel Grand-groupe/Groupes-projets/Grand-groupe qui sera respecté jusqu’à la fin du semestre. Cette architecture combine l'apport des groupes-projets et du grand groupe, un va et vient entre les interactions au sein des groupes-projets et la reprise au sein du grand groupe. Les groupes-projet travaillent en autonomie et élaborent leur propre mode de fonctionnement. L’enseignant n’intervient qu’à la demande explicite des étudiants et veille à ce que les groupes ne se referment pas sur eux-mêmes. Les séances plénières en grand groupe servent de cadre aux synthèses, à l'évaluation, à la critique, à l'exercice de la prise de parole en public, à l'auto-correction, à la pratique du débat. Le grand groupe remplit une double fonction: le forum d’une heure, en début de séance, donne l’occasion aux étudiants de débattre librement sur des questions d’actualité. La dernière heure est consacrée à l’avancée des projets et aux difficultés rencontrées. La ritualisation Grand-groupe/Groupes-projets/Grand-groupe sert de repère spatio-temporel et joue un rôle essentiel dans la structuration d'un ensemble complexe. Il fixe un cadre où peuvent s’exercer les règles de  morale sociale telles que l’écoute, le respect de l’autre et de la diversité, la coopération, la ponctualité, l’assiduité, la responsabilité individuelle et collective.

Le journal de bord destiné au seul enseignant[29]tient un rôle important dans la construction de cet édifice. Il permet à chacun de s’auto-évaluer, d’analyser les raisons qui font que le projet avance ou stagne, les désaccords qui peuvent surgir à l’intérieur du groupe, les difficultés rencontrées, etc. Il est un précieux indicateur pour l’enseignant qui peut comprendre de l’intérieur le fonctionnement des sous-groupes. Lors de la 4ème séance, l’enseignant demande à chaque groupe projet de lui soumettre son avant-projet par écrit ce qui permet aux étudiants de faire le point, de cerner leurs objectifs, de fixer des échéances, etc. Jusqu’à la fin du semestre, le rituel Grand-groupe/Groupes-projets/Grand-groupe sera respecté.

 

La construction de l’acteur social est l’essence même du dispositif

Ce qui est visé par le dispositif[30], c'est qu’à la faveur d’initiatives concrètes que la réalisation des projets impose, les étudiants interviennent dans le tissu universitaire de façon à s'approprier des moyens de communication socialement acceptés dans le contexte qui leur est imposé, condition sine qua non de leur insertion, de leur réussite et de leur construction en tant qu’acteurs sociaux. C'est en étant sans cesse confronté aux codes en vigueur dans des situations concrètes, en étant tour à tour acceptés ou rejetés, que les étudiants parviennent, par approches successives, à acquérir la compétence pratique des situations et à avoir prise sur ces situations. C'est de cette dynamique de confrontation permanente à une réalité sociale, avec ce que cela suppose d'implication et de prise de risques, inévitables pour une entreprise dont les enjeux personnels et collectifs sont forts, que l'idée du dispositif de pédagogie de projet est née. Apprendre comment fonctionne l'institution, c'est apprendre à développer des stratégies d'intervention et assumer collectivement le rôle d’acteurs sociaux capables d’inventer de nouveaux dispositifs pour transformer le monde en se transformant soi-même.

D'un point de vue sociologique, cette entreprise peut-être considérée comme une pratique sociale répondant réellement aux sollicitations du milieu ambiant: apprendre à monter un dossier chiffré pour obtenir de l'université ou d'autres institutions une aide sans laquelle le projet ne verra pas le jour; décrocher un rendez-vous, remporter l'adhésion de celui qui détient le pouvoir de décision. L'espace-U.V. est le lieu où s'élaborent toutes sortes de stratégies qui seront mises à l'épreuve du terrain où les étudiants rencontreront de nouveaux obstacles toujours imprévisibles qu'ils devront surmonter ou contourner sur le champ. Ils vont tout au long de l'U.V. pouvoir se mesurer, se forger des armes et expérimenter très vite ce que dit Paulo Freire : “La parole est toujours l’unité dialectique entre action et réflexion, entre pratique et théorie, l’éducateur n'étant pas au service d’une “science neutre” et d’une pédagogie apolitique, mais d’une praxis pour la transformation sociale” (Freire, 1977).

Mon champ de référence ne repose pas sur un objet académiquement constitué comme la linguistique, la psychologie, l'éthologie ou la sociologie, je me situe à la frontière. Le langage est pour moi une activité et non le produit d'une activité. Il implique une mobilité permanente à laquelle les méthodes statiques ne font pas droit. S'il s'agit d'étiqueter ce que je fais dans la terminologie universitaire, j'avancerai l'idée que je pratique une sorte d'anthropologie concrète. Je travaille avec des personnes placées dans des situations concrètes, pour une part étrangères, qui se trouvent dans une démarche de maîtrise du langage en même temps qu'une démarche de survie face à l'institution et à l'administration, qu’elles soient à Paris 8 ou ailleurs, des personnes engagées dans un processus d'acceptabilité et de conquête de légitimité sociale. Le rapport à la connaissance ne peut être isolé de tout un ensemble.

En guise de conclusion, j’aimerais insister sur le fait que Vincennes n’a pas été une utopie. Je défends une pédagogie dont le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes a été le terreau. Aucun enseignement n’est idéologiquement neutre. L’université, l’école en général, ont une responsabilité à assumer envers la société. D’où mon engagement tout au long de mon parcours universitaire sur le plan pédagogique, institutionnel, administratif et politique, le tout étant intimement imbriqué. Que mon enseignement ait trouvé son terreau d'élection à Vincennes ne peut être dû au hasard. Gilles Deleuze avait préconisé le bon usage du rhizome. L'enseignement, tel que je le préconise, participe de cette prolifération imprévue dont les rigidités institutionnelles s'accommodent si mal. Le dispositif a connu ses heurs et malheurs à l’université de Paris 8. Mais, toujours selon Deleuze, « un rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d'autres lignes» (Deleuze, Guattari, 2980 : 16).

 

 

Bibliographie

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-           1990. Car la culture donne forme à l’esprit, De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Paris. Eshel.

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                           - 1997. Par-delà les frontières. Europe plurilingue, 12-13: 38-46.

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          - 1977. Pédagogie des opprimés. Paris. Maspero.

          - 2013. Pédagogie de l'autonomie. Toulouse. Érès.   

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Vygotski Lev.1985. Pensée et langage. Paris. Sociales.  



[1] Vincennes ou le Désir d'apprendre, ouvrage collectif publié sous la responsabilité de Jacqueline Brunet, Bernard Cassen, François Châtelet, Pierre Merlin, par les éditions Alain Moreau en 1979.

[2] J’ai toutefois tenu à faire référence à Pierre Bourdieu qui, avec Paulo Freire, a joué un rôle déterminant dans ma  recherche-action.  

[3] Le C.U.E.V. – plus connu sous le nom de Vincennes puis Paris 8 Vincennes à Saint-Denis – a été créé par la volonté d’Edgar Faure, alors Ministre de l’Education National de Charles De Gaulle. Il a ouvert ses portes le 13 janvier 1969.

[4] U.V. : Unité de valeur (l’équivalant des cours).

[5] « Par définition, le pédagogue ne peut être ni un pur et simple praticien ni un pur et simple théoricien. Il est entre les deux, il est cet entre deux. Le lien doit être à la fois permanent et irréductible (…) Seul sera considéré comme pédagogue celui qui fera surgir un plus dans et par l’articulation théorie-pratique en éducation. Tel est le chaudron de la fabrication pédagogique » (…) « Un pédagogue se reconnaît en ce qu’il nous propose certes une pratique spécifique, mais, au-delà, ce qu’il tient dans le champ éducatif, c’est une théorie de la situation pédagogique référée à sa pratique, soit une théorie de la situation pédagogique » (Houssaye 1996 :12).  

 

[6] C’est ce que nous obtiendrons grâce à la mobilisation du collectif de FLE et de la lutte des étudiants étrangers du Comité de défense.

[7] L’Arrêté Soisson, du nom du ministre de l'Éducation nationale de l’époque, est publié au Journal officiel du 25 Juillet 1974.

[8] Le Comité interviendra dans les autres universités et sera à l’origine du Comité pour l’abrogation de l’Arrêté Soisson.

[9]Concept cher à la tradition de l’analyse institutionnelle de Paris 8, qui met une loupe sur la relation qu’entretient le contexte institutionnel et ses acteurs sociaux (Lapassade 1971).

[10] Vincennes comme espace vécu, film restauré par Patrice Besnard  de l’UFR Arts : http://www.archives-video.univ-paris8.fr/video.php?recordID=107.

[11] La Commission interlangues qui est en grande partie responsable des attaques contre mon département, m’invite à présenter l’expérimentation le 31 juin 1979. Cette réunion consacrée à l’utilisation de l'audiovisuel dans les cours de langue regroupe une trentaine d'enseignants des départements d'Allemand, d'Anglo-Américain, d'Espagnol, d'Italien, des Langues Slaves. Je serai accompagnée d’étudiants co-auteurs du film. Le responsable de la Commission écrira dans son compte-rendu: "Annie COUËDEL (F.L.E.) vient d’exposer l'expérience qu'elle a faite dans son UV: tournage d'un film vidéo de 15 mm sur Vincennes; puis sur le déroulement de l'expérience elle-même. Elle distribue la photocopie d'un article et l'assistance est très intéressée par le film. De l'avis général cette expérience soulève des problèmes pédagogiques trop importants et trop nombreux pour qu'on bâcle le débat dans le peu de temps qu'on pourrait lui consacrer. Une réunion spéciale aura cette question pour objet quand le deuxième film qui est pédagogiquement le plus intéressant, sera prêt". Cette « réunion spéciale » n’aura pas lieu, mais bon nombre des participants seront présents lors de la communication que je ferai avec Jean-Pierre Soucaille au deuxième colloque international de l’acquisition d’une langue l’année suivante en 1980  en la présence de huit étudiants de Vivre la langue ( p.  41).

[12] Ce film a été restauré par Patrice Besnard de l’UFR Arts et figure sur le site de l’université de Paris 8 : http://www.archives-video.univ-paris8.fr/video.php?recordID=108.

[13] Les séances sont de six heures consécutives un jour par semaine

[14] ECHO-graphie a si bien rencontré l'attente des étudiants qu’il continue d’être publié trente ans plus tard en mettant à profit tous les avantages que procure l'informatique. 

[15] Quand nous arrivons à Saint-Denis, nous n’avons pas de secrétariat. J’ai heureusement pris soin de mettre à l’abri le matériel du Département et les archives chez moi. Ce qu’il en reste a été dispersé un peu partout dans l’université.

[16] Dans Encrages (1982), on peut lire : « Dans la communication d’Annie Couëdel de Paris 8 (Echo-graphie d’une expérience » p.149), ce qui paraît fondamental, qu’il s’agisse d’acquérir une compétence d’écriture en français – ou une compétence de communication orale (Couëdel, 1981) – c’est le rôle du groupe comme structurant d’un apprentissage qui se réalise par une communication ininterrompue avec l’extérieur, avec le monde. C’est à partir d’une réflexion du groupe sur l’apprentissage tel qu’il est entrain de le vivre que se clarifient et se définissent les objectifs et les activités, les rôles et les statuts assumés par les uns et les autres – enseignant y compris, qui refuse le rôle d’unique détenteur du savoir. C’est aussi à partir de cette réflexion commune que se décident les modalités de travail, les réalisations à entreprendre ou les interventions à mener à l’extérieur, dont la participation des étudiants à la communication et aux discussions qui suivirent en donna un bon exemple »

[17] “Depuis les Assises, il était question d’un enseignement d’accueil, ou de soutien, ou d’expression, etc. Récemment encore, la commission pédagogique lançait un appel aux départements, pour une réflexion sur ces thèmes. Le tout sans succès perceptibles. Une réalité concrète est peut-être en train de voir le jour, avec les projets de transformation de Français Langue Etrangère en département de Communication”. Extrait d’un article écrit par un auteur anonyme dans le journal Le Saint, réalisé dans le cadre de l’UV de Maurice Courtois du Département de Littérature (p. 4).

[18] Le 17 mai 1982, la Commission pédagogique donne son accord pour que le département FLE  devienne “Département de Communication/ FLE”.

[19] Cet enseignement se situe dans le cadre des Langages fondamentaux de la réforme des 2èmes cycles.

[20] Plus tard il servira également de support médiatique aux diverses activités développées au sein des ateliers et du Centre Interculturel de Vincennes à Saint Denis (CIVD).

[21] Il célèbera son 30ème anniversaire du 1° au 3 avril de cette année universitaire.

[22] Le Centre va donner l’opportunité aux étudiants de poursuivre la réalisation des projets les plus ambitieux à l’intérieur de ce nouveau cadre.

[23]  Ces échanges sont antérieurs aux échanges ERASMUS, et les Relations Internationales ne verront pas d’un bon œil qu’une association loi 1901 s’autorise à empiéter sur leur territoire sans demander leur autorisation et mettront de telles entraves qu’ils parviendront trois ans plus tard à court-circuiter ces activités.

[24] Pour que les enseignants, futurs enseignants de langue ou travailleurs sociaux, puissent transposer le dispositif , il est essentiel qu’ils aient connaissance des théories qui le sous-tendent, les aient discutées, vérifiées sur le terrain. L’objectif premier du dispositif est que les participants, qu’ils soient enseignants, élèves, étudiants, travailleurs sociaux, formateurs de formateurs, assument collectivement le rôle d’acteurs sociaux.

[25] Ce groupe-projet s'est constitué en Association loi 1901 qui a fonctionné en liaison avec son homologue à Rio. ERE BRASIL a réalisé bon nombre d'actions auprès des autorités brésiliennes et des médias en Europe comme en Amérique et a permis l’arrestation de membres des escadrons de la mort responsables de l’assassinat d’enfants des rues. A l’instar d’ERE BRASIL d’autres associations loi 1901 se sont créés sur la base du travail réalisé dans le cadre de l'U.V. Pour n’en donner que quelques exemples : C.I.V.D., REG'ARTS qui a publié une revue sur l'art contemporain et organisé des expositions, ou bien encore, le C.I.L., le Centre Interculturel de Langues, fondé à Paris en 1989, dont la directrice a été Cornelia Schöffler qui animera avec moi plus tard les ateliers en tant que chargée de cours de FLE au département (Couëdel, 1981).

[26] Les ateliers accueillent entre 30 à voire même 50 étudiants. Ils sont généralement animés par deux enseignants: l’un plus attentif au groupe-projet ECHO-graphie et aux journaux de bord, l’autre aux divers groupes-projet, ceci étant une distinction plus administrative qu’effective.

[27] Dés la première séance, est écrite sur le tableau, la devise de l’U.V.: Soyons réalistes, entreprenons l’impossible pour inciter les étudiants à oser prendre des risques collectivement. L’évaluation ne se fait pas sur l’aboutissement du projet en fin de semestre, mais sur la mobilisation du groupe et le degré de participation de chacun dans le projet, le journal de bord, etc. Ce type d’évaluation entre dans une toute logique que celle attendue par l’institution de l’ici et maintenant. En ce qui nous concerne, l’acquisition de la « langue légitime », de la « compétence pratique », mais pas seulement, supposent un autre type de rapport à l’espace et au temps. On n’affirme pas que le DPP :i/i produit, d’un coup de baguette magique, des étudiants « conformes à la norme universitaire». On dit seulement qu’il enclenche un processus qui portera ses fruits ne serait-ce par le fait qu’ils ne sont pas considérés comme des apprenants, mais des êtres à part entière qui parviennent à se faire entendre indépendamment de leurs « fautes de français », un pas qui va leur permettre, par l’assurance acquise, d’aller plus vite dans la maîtrise de la langue. Jo Arditty dans sa synthèse de l’atelier (note 21) relève la réaction que provoque la façon de parler d’un des étudiants : « Tron parle nettement mieux que les autres » et souligne que « la confrontation avec un minimum d’analyse linguistique, permet de conclure à la prééminence de deux phénomènes dans cette perception : la prononciation et le rapport à la parole ». En d’autres termes, ce qui compte dans le langage, ce n’est pas seulement le contenu, mais aussi la posture du locuteur. L’assurance de Tron fait oublier son statut d’étranger, ce qu’il va lui permettre de la surmonter (Bourdieu, 1977 : 31-33).

[28] Le groupe qui va être en charge de la publication du journal ECHO-graphie et dans lequel chaque étudiant de l’U.V. doit rédiger un article, est en général le premier à se constituer. Il se trouve toujours des étudiants qui viennent dans l’UV spécifiquement pour le journal. D’autres se joignent à eux sans doute parce que ce projet est moins aventureux que les autres et nécessite moins de prise de risques.   

[29] Pour le rôle  primordial que joue le journal de bord on peut se référer à l’article de Blondeau, Couëdel (2000). Cet article se réfère plus particulièrement. à comment se construit l’intercularité dans la mise en oeuvre des projets.

[30] Dispositif de pédagogie de projet : intervention/insertion (DPP : i/i).  

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