Le CIVD
comme exemple de dispositif d’intervention/insertion sociale
Diakhaté Assane - Dimitrova Gergana
Université
Gaston Berger de Saint-Louis – Étudiante en thèse Université Paris 13
Résumé
La question de l’insertion des
étudiants dans l’institution universitaire, rarement prise en charge par les
institutions, reste plus que d’actualité face à la mondialisation, la
globalisation et la mobilité des étudiants. La réussite dans les études
supérieures et la réduction du taux d’abandon et d’échec supposent l’insertion
de l’étudiant dans l’institution corollaire de l’apprentissage de son « métier
d’étudiant ». Ces préoccupations se situent au cœur du Dispositif de Pédagogie
de Projet : intervention/insertion (DPP:i/i). Il s’inscrit dans le courant des
pédagogies sociales avec Freire et Freinet, et des théories d’apprentissages
socioconstructivistes de Vygotski et de Bruner. En d’autres termes, la
conception de l’éducation qui sous-tend ce dispositif s’appuie sur une démarche
d'émancipation des sujets sociaux. A cet effet, des structures parallèles ont
été conçues à l’université Paris 8 pour susciter chez les étudiants un
questionnement permanent sur le monde, une interrogation sur leur place et leur
engagement. Dans ce texte, on se centre principalement sur une des structures
créées, le Centre Interculturel Vincennes Saint-Denis (CIVD).
Mots clés
Langage légitime,
intervention/insertion sociale, pédagogie de projet, dispositif interculturel,
université.
L’entrée dans l’enseignement supérieur représente une
période transitoire marquée par plusieurs changements et ruptures tant sur le
plan institutionnel, culturel, social, personnel, que dans le rapport au savoir
et aux façons d’apprendre. De nombreux chercheurs se sont intéressés aux
différents aspects de la vie universitaire.
Dans
une étude récente sur les relations entre les étudiants, les enseignants et le
personnel IATOSS[1], Coulon et Paivandi (2008) notent que les rapports
humains, le plus souvent qualifiés de « négatifs », constituent une
des dimensions critiques de la vie universitaire. Selon cette recherche, les
transformations culturelles et politiques survenues dans l’enseignement
supérieur ont eu un impact sur le paysage universitaire et la qualité des
relations interpersonnelles.
D’une part, depuis les trente dernières années, on
assiste à un changement tant au niveau de la massification de l’enseignement
supérieur que du profil des étudiants. Aujourd’hui, un étudiant sur sept est
étranger et un étudiant sur sept est en reprise d’études. D’autre part, ces
changements modifient également les attentes des étudiants et leur rapport au
savoir (Coulon et Paivandi 2008 :8). Car le contexte pédagogique constitue avant tout
un contexte social.
«La première tâche qu’un étudiant doit accomplir
lorsqu’il arrive à l’université est d’apprendre son métier d’étudiant» (Coulon
2005 :1). Comme nous le rappelle Coulon, le problème n’est pas tant
d’entrer à l’université mais d’y rester, d’acquérir un nouveau statut social,
une nouvelle appartenance. Aujourd’hui les universités continuent à enregistrer
un taux important d’échecs et d’abandons.
Dans sa recherche sur le métier d’étudiant, Coulon
analyse le devenir étudiant comme processus social qui passe par trois
étapes-clés. Il distingue un premier moment - le temps de l’étrangeté. C’est le
moment où l’étudiant est confronté à un nouvel espace, où il rentre dans un
monde inconnu. Le deuxième moment, c’est le temps d’apprentissage
pendant lequel l’étudiant s’approprie le langage universitaire.
Et en dernier lieu, c’est la phase de l’affiliation
qui est caractérisée par une certaine maîtrise des codes et de la culture
universitaires. Pour Coulon, les étudiants qui n’arrivent pas à s’affilier-
institutionnellement et intellectuellement, échouent.
Apprendre à être étudiant, c’est apprendre d’abord
l’institution. S’insérer, s’intégrer dans un nouvel univers, afin d’y devenir
un acteur social actif et être reconnu comme tel ne va pas de soi. Les
étudiants doivent acquérir de nouveaux codes, apprendre les rouages de l’institution,
acquérir une nouvelle culture afin d’investir ce nouveau lieu comme espace de
vie. L’entrée dans la vie universitaire implique la mise en place de
dispositifs d’insertion pour les nouveaux arrivants.
Or, de tels dispositifs sont souvent inexistants sinon
fort limités en matière d’efficacité. Leur conception nécessite une réelle
réflexion pédagogique. L’apprentissage à l’université prend un sens nouveau
pour les étudiants. Ce sont de jeunes adultes en quête d’autonomie et qui
bénéficient d’un statut provisoire car la vie universitaire est une période
transitoire vers la vie active. D’après Coulon et Paivandi, « il s’agit pour
l’étudiant de développer une approche nouvelle du savoir dans laquelle le
dialogue permanent avec l’enseignant est un enjeu majeur car il faut d’abord
saisir le sens de cet apprentissage, en acquérir les outils intellectuels et
méthodologiques, ajuster ses habiletés métacognitives, afin de maîtriser
progressivement les ‘‘ficelles du métier’’»
(op.cit. p.8).
Dans cette optique comment l’étudiant peut-il
s’approprier le nouvel espace? Comment l’amener à comprendre et transcender les
différents rôles et enjeux qui sont au carrefour des études, de leur organisation
et des activités connexes?
Dans quelle mesure le pouvoir des enseignants et des
administratifs de l’établissement peuvent-ils s’équilibrer en prenant en compte
la participation des étudiants en tant qu’acteurs sociaux à part entière ? Quel
pourrait être leur rôle émancipateur ?
Par l’exemple d’un dispositif pédagogique mis en place
à l’université Paris 8, ce texte se propose d’apporter quelques pistes de
réflexion sur l’insertion des étudiants dans le système universitaire. Notre contribution s’appuie sur un long vécu
à l’intérieur de ce dispositif, sous différentes formes de participation :
tout d’abord en tant qu’étudiants - en sciences de l’éducation concernant
Assane Diakhaté, en didactique des langues concernant Gergana Dimitrova - ensuite
en tant qu’observateurs-participants, posture que nous avons été amenés à adopter
lors de nos recherches respectives. Ces différentes expériences partagées avec
Annie Couëdel et Nicole Blondeau, co-animatrices des ateliers de
« Conception et réalisation de projets », ont une double
signification pour nous : elles ont été une aventure humaine et un lieu de
partage et d’interrogations sur notre conception de l’éducation dans sa
dimension politique et sociale. Enfin, nous avons nous-mêmes été chargés
d’assurer, pendant deux ans, cet enseignement tout en étant membres actifs du
CIVD.
Il s’agira, dans un premier temps, de présenter le
dispositif et son fonctionnement, en termes d’interventions sociales et de
générateurs de dispositifs. Dans un deuxième temps, nous montrerons, par le
biais du Centre Interculturel de Vincennes à Saint-Denis, les effets du projet
sur les étudiants dans la dynamique d’appropriation universitaire et
d’insertion.
Le dispositif de pédagogie de projet :
intervention/insertion (DPP : i/i). Un exemple de dispositif d’insertion
universitaire
Le dispositif expérimental conçu par Annie Couëdel
(1981)[2] dans les années 70, s’inscrit dans le courant des
pédagogies sociales avec Freire (1977, 2006) et Freinet (1994), et des théories
d’apprentissages socioconstructivistes de Vygotski (1997) et Bruner (1987).
Il se distingue du « faire semblant d’être
ensemble » de la pédagogie traditionnelle qui se caractérise par des
apprentissages individuels, normés et normalisés. C’est un dispositif de
recherche-action participative qui place au centre le projet collectif. Ici, le
projet est l’émanation d’initiatives personnelles qui génèrent des pratiques
sociales diverses mettant à l’épreuve la créativité et le développement de
l’esprit critique des étudiants. La participation à la réalisation d’un projet
commun, de sa conception à la réalisation finale, offre la possibilité aux
étudiants d’explorer le tissu institutionnel, de découvrir les différents
services et espaces qu’ils pourront investir, de tisser des liens autrement
plus complexes au sein du groupe mais aussi avec les différents acteurs de
l’université. L’enseignant y tient un rôle de coordonnateur et de personne
ressource qui accompagne les participants dans la mise en œuvre des projets
dont ils sont auteurs-acteurs au sens où l’entend Jacques Ardoino (1999).
Comme le souligne Couëdel, se référant à Paulo Freire
(1977), « la parole est toujours l’unité dialectique entre action et réflexion,
entre pratique et théorie, l’éducateur n'étant pas au service d’une ‘science
neutre’ et d’une pédagogie apolitique, mais d’une praxis pour la transformation
sociale ».
Les projets sont le pivot du dispositif : ils
sont une voie d’action dont la conduite engage directement leurs acteurs dans
des activités quotidiennes qui dépassent le cadre institutionnel. Cette
pédagogie inscrit le projet dans le monde social car « c’est en
interagissant dans le milieu qu’on en acquiert le langage, condition sine qua non pour s’insérer et y agir »
(Blondeau et Couëdel 2008).
A la suite des travaux d’Annie Couëdel et de Nicole
Blondeau (1997, 2000) et de nos propres observations, nous pouvons dégager les
principales caractéristiques des projets conçus dans le dispositif.
Il est important de souligner la dimension collective
d’une telle entreprise qui mobilise et engage les compétences de tous les
participants. On apprend par et avec les autres, avec nos différences et nos
singularités. Mais ce « faire ensemble » dans lequel les étudiants
sont entraînés pour la réalisation du projet n’est pas exempt de confrontations
et de conflits car chacun agit en fonction de son vécu, ses expériences
antérieures, sa culture. Ainsi, au cœur
de ce processus s’inscrit une réelle éducation à l’interculturalité.
Les projets sont ancrés dans une réalité sociale que
les étudiants tendent à appréhender, interroger, transformer. La réalisation
collective des projets suppose un esprit de création et une gestion de
l’imprévu qui lui est inhérent, à la différence d’un enseignement obéissant à
une logique de programme dont le contenu est connu d’avance. C’est dans ce sens
qu’Ardoino (1984) distingue le « projet-visée », impliquant des
dynamiques de ré-invention du quotidien du « projet programme ».
Dans ce processus, les étudiants sont confrontés aux
réalités de l’environnement, aux règles institutionnelles qu’il faudra
comprendre et inclure dans leurs démarches afin de s’y conformer ou de les
transgresser. Ils intègrent progressivement les codes et les normes
socio-culturels de l’institution, y compris langagières, cette maîtrise étant
le garant de leur insertion à l’université.
Or, une telle conception du projet exige un autre
rapport au temps et à l’espace tel que limité par le cadre universitaire, ce
qui suppose une articulation entre « intérieur et extérieur »,
entre «local » et « global » (Couëdel et Stamelos 2002).
La nature même du projet, « oblige à prendre en compte
tous les paramètres de la situation, la multiplicité des variables. Il n’est
pas défini une fois pour toutes et peut se transformer en fonction des
circonstances, de ce qui advient et n’était pas prévisible. Les promoteurs vont
donc développer des stratégies inédites, inventer des ripostes adaptées pour
répondre à l’inattendu, l’accident, la surprise. Le projet s’inscrit dans la
complexité du réel » (Blondeau et Couëdel 2008)
L’architecture
et le fonctionnement du dispositif
Le dispositif se structure selon une alternance de
travail en groupe-classe (grand groupe) et en groupes-projet, selon un
« rituel » qui se déroule ainsi : grand
groupe/groupes-projet/grand groupe. Cela est conforme au principe d’alternance
cher à Montandon (2002) qui rompt avec la monotonie des dispositifs
technicistes. Le travail en groupes-projet est toujours précédé et suivi d’une
plénière animée par l’enseignant.
La première séance en plénière est un espace
d’échanges et de réflexions autour de sujets choisis par les étudiants selon
l’actualité socio-politique ou leurs propres préoccupations quotidiennes.
La plénière qui a lieu à la fin des ateliers en
groupes-projet permet de rendre compte
de l’avancée de chaque groupe et de faire l’évaluation de ce qui est en jeu. La
spécificité de l’architecture réside dans cette disposition qui contribue à une
meilleure régulation du temps et de l’espace assurant la cohésion de l’ensemble
des participants.
L’aménagement de l’espace est pensé pour favoriser les
échanges et les interactions des participants entre eux et l’enseignant :
les tables sont disposées en cercle afin de mettre l’accent sur la relation horizontale qui
caractérise l’approche pédagogique du dispositif. Le rôle de l’enseignant,
absent du travail en sous-groupe ou groupes-projets, est réduit à une
participation minimale qui ne s’effectue qu’à la demande explicite des
étudiants ou en cas de conflits importants nécessitant son intervention en tant
que modérateur ou personne ressource. Cette démarche s’inscrit en rupture avec
la traditionnelle relation pédagogique basée sur les rapports de pouvoir que
Bourdieu et Passeron (1970) interrogent.
Les projets émanent des initiatives des étudiants,
sous forme de propositions qui émergent d’une discussion en groupes aléatoires,
lors de la toute première séance, introduisant les objectifs et le
fonctionnement du dispositif. Les propositions initiales sont exposées et
débattues par tous en séance plénière. Une attention toute particulière est
réservée à la nature des projets qui doivent être en prise directe avec la
réalité sociale et avoir prise sur elle. Pendant les premières séances,
cruciales pour la mise en place du dispositif pédagogique, l’enseignant joue un
rôle de guide dans la constitution des groupes en engageant les étudiants à
réfléchir sur l’impact des projets en termes de changements et d’intervention
sociale, et par conséquent sur leur capacité d’agir (agency). Les étudiants commencent ainsi à s’approprier les valeurs
qui sous-tendent la mise en œuvre du dispositif dont la devise « Soyons
réalistes, entreprenons l’impossible! » fait naître des rêves personnels
qui se transforment en projets collectifs.
Les ateliers pédagogiques, tels que nous les avons
vécus, réunissent des étudiants de différentes disciplines et de tous niveaux.
Cette extrême pluralité de compétences,
de niveaux de langue, de cultures et d’histoires personnelles est un puissant
moteur d’entraide, de partage de connaissances et de collaborations mutuelles.
L’hétérogénéité du groupe, la place spécifique des
enseignants et la non rupture entre intérieur et extérieur créent des
situations d’apprentissage où la distinction entre éducation formelle et
informelle n’est plus opérante.
Le processus d’apprentissage pourrait donc être
appréhendé, selon la perspective des théories de l’apprentissage dit
« situé », en tant que processus de participation à des pratiques
sociales, à des communautés de pratique (Lave et Wenger 1991, Wenger 2005). Cet
agir collectif implique une circulation et une co-construction des
connaissances, une transformation de l’identité dans la pratique en même temps
que la transformation de la communauté.
En adoptant cette approche de l’apprentissage, le DPP
i/i apparaît comme un générateur de multiples situations ancrées dans un
contexte spécifique, propre à chaque projet. Ainsi, la participation et
l’engagement dans des activités communes autour de la réalisation des projets
induisent des apprentissages contextualisés, locaux. Dans une perspective de
l’acquisition d’une langue seconde, les étudiants étrangers, tout comme les
étudiants français qui ne possèdent le « langage légitime » comme
« droit à la parole », le « capital d’autorité » (Bourdieu
1982), sont propulsés dans des pratiques sociales de négociation, de prises de
parole qui leur permettent de s’approprier progressivement la langue et le « langage
autorisé ».
En outre, chaque étudiant doit tenir un journal de
bord hebdomadaire où il consignera les réflexions personnelles et les
différentes activités liées à l’avancement de son projet. Le journal est conçu
comme outil pédagogique.
En effet, dans les dispositifs traditionnels, il est
rare de trouver des occasions de pratiquer une écriture libre, « au fil de
la plume » qui ne donnera pas lieu à des « corrections
sanctions », sources de blocage. Dans cet apprentissage de la langue, les
compétences orales et écrites sont développées dans différentes situations
aussi bien dans la réalisation des projets, mais aussi dans la création d’un
journal commun à tout le groupe, dénommé ECHOgraphie, destiné à être diffusé à
un public extérieur.
Le CIVD
– un lieu d’accueil, initiateur de dynamiques d’intervention sociale au sein de
l’université
Le CIVD est une association loi 1901 créée en 1984 à
l’issue du premier festival interculturel organisé par un groupe d’étudiants du
DPP : i/i. Le festival a eu comme effet d’éveiller l’esprit vincennois qui
puisait sa force dans des actions communes et une ouverture sur l’extérieur. Le
désir de rencontres, de « faire ensemble », de réinvestir
l’université s’est formalisé par l’idée de créer un espace d’accueil et
d’échange pour les différents acteurs de l’institution.
L’envie de prolonger ce qu’a toujours été l’ambition
de Vincennes, inventer de nouvelles dynamiques par la confrontation
d’expériences culturelles diverses, a ainsi conduit à la création du Centre
Interculturel, suscitant l’intérêt des étudiants, mais aussi du personnel et
des enseignants.
C’est donc dans ce contexte historique que le CIVD
inscrit son histoire comme l’une des plus grandes organisations de l’université
Paris 8. Deux grandes étapes caractérisent les actions du CIVD : une
première période qui se situe dans les années 80 avec des activités se
déroulant plus particulièrement au sein de l’université et une seconde période
où le CIVD, aux prises avec des logiques politiques de contrôle social, va
développer des projets internationaux.
Notre expérience au CIVD commence, comme nous l’avons
déjà mentionné plus haut, grâce aux ateliers pédagogiques auxquels nous avons
participé, en 2003 et 2004. Il s’agissait pour nous de
« ressusciter » le projet festival à l’occasion du 20ème anniversaire de l’association. En effet, des
réticences institutionnelles, dues aux conflits d’intérêt internes à certaines
structures de l’université désirant avoir la main mise sur les activités
culturelles et associatives, ont entravé le bon déroulement des festivals
interculturels, dont celui de 1990 censuré par l’autorité centrale.
Il est important ici de souligner le rôle que nous
avons joué dans la mise en œuvre de cette manifestation, Assane Diakhaté en
tant que président du CIVD et Gergana Dimitrova, étudiante ayant choisi
d’intégrer le groupe-projet festival, aux côtés des « anciens »
membres du CIVD. C’est là l’illustration
de la particularité du cours qui voit revenir fréquemment des étudiants des
années après l’avoir suivi. La conception de l’apprentissage qui sous-tend le
dispositif pédagogique remet en question la notion même de transmission de
savoirs en créant la possibilité de conjuguer, en les ancrant dans des
situations concrètes, différentes compétences, mêmes celles venant de
l’extérieur de l’université.
Cet engagement commun est d’autant plus visible
lorsqu’il est question de s’intégrer à la vie du CIVD en tant que
« communauté de pratique » (Wenger 2005).
Les apprentissages traduisent alors le processus
d’intégration et d’appartenance à la communauté.
Ainsi, ce projet nous a permis non seulement de
découvrir l’organisation interne de l’université, avec sa bureaucratie, tout
comme l’héritage de l’esprit de Vincennes avec des structures au service des
étudiants déterminés à briser les barrières administratives. La connaissance des engrenages institutionnels
nous a conduits à collaborer avec différents acteurs de l’université, depuis
des agents du service de sécurité et de la reprographie, jusqu’à la présidence.
Les activités dans lesquelles nous nous sommes plus
particulièrement impliqués, telles que le montage de dossiers de recherche de
financements et de partenariat, ainsi que la réalisation d’une exposition de
différentes œuvres d’art, ont généré des apprentissages spécifiques à ces
situations.
Le
CIVD : un dispositif générateur de dispositifs
Le CIVD constitue un dispositif au sens que lui donne
Lapassade à savoir « une forme d’organisation » (in Ardoino et
Lourau, 1994). Il répond aussi à la notion de dispositif en socianalyse, selon
Ville (2009), c’est-à-dire une disposition spécifique dont la forme
permettra de travailler le fond. Ce sont
les participants qui déterminent les principes de fonctionnement et les règles
de vie.
Mais plus encore, il est lieu d’échange interculturel
et d’accompagnement à l’élaboration de projets. En effet, chaque année le CIVD
accueille des initiatives d’étudiants pour la mise en œuvre de projets au sein
de l’université.
Le moment où l’association fêtait ses 20 ans
d’existence, en 2004, a été marqué par une fusion de projets locaux et à
l’international.
C’est ainsi que des projets comme le festival
interculturel du CIVD, le Journal CULTUR’8, le projet intitulé « A
la rencontre des enfants de la rue de Dakar Plateau », la construction
d’une bibliothèque à Kouvé au Togo et à
Darou Mousty au Sénégal, ont été initiés et mis en œuvre par différents
participants, étudiants et non étudiants.
Les ateliers de pédagogie de projet se déroulent dans
un espace spatio-temporel bien déterminé mais régis par des temporalités
institutionnelles. Les projets qui y naissent et qui dépassent la durée d’un
semestre vont trouver un lieu d’aboutissement grâce au CIVD. L’engagement et la
participation des étudiants sont ici la traduction d’une autre conception de
l’apprentissage. Ce qui est visé ne se mesure pas en termes de validation et
d’évaluation de compétences mais en termes de processus de négociation de sens.
Le CIVD devient à cet effet une sorte de relais des ateliers pédagogiques ainsi
que l’interlocuteur privilégié de tout porteur de projets. Il se transforme par
conséquent en un dispositif particulier dans le dispositif de pédagogie de projet.
Réaliser des projets requiert une certaine expérience
en matière de montage de dossiers, de recherche de financement, de disposition
de moyens logistiques, de médiation avec le tissu administratif de
l’université, etc. Le CIVD, avec ses membres qui sont pour la plupart des
étudiants déjà « expérimentés », son statut officiel ayant une
reconnaissance institutionnelle, avec un agrément de la DDJS[3], offre un cadre idéal pour la concrétisation des initiatives étudiantes.
Ainsi une réponse est donnée à l’exigence
de certains organismes, comme le FSDIE[4], posant comme préalable à un dépôt de dossiers de demande de subvention,
l’engagement par une association porteuse. Il se propose de porter les projets
et d’en être garant auprès de l’institution universitaire.
Au sein du CIVD et au cours des activités
menées pour la mise en place des projets, les étudiants s’insèrent dans
l’institution en intégrant les nouveaux codes sociaux et culturels,
s’approprient le cadre environnant, aussi bien l’université que les autres institutions locales. L’immersion
en situation les confronte aux lois et aux contraintes institutionnelles dont
ils apprennent les logiques sous-jacentes. Cet apprentissage engendre un
sentiment d’appartenance, d’affiliation et ils prennent conscience de leur rôle
d’auteur- acteur.
Le rôle du CIVD, en tant qu’association
contribuant à l’insertion des étudiants dans le milieu universitaire constitue,
comme le constatent Stamelos et Couëdel (2002), un élément générateur de
dérangement, donc « analyseur ». Ils nous renvoient à la définition
qu’en donne Lourau (1970 :283) : « ce qui permet de révéler la structure de l’institution,
de la provoquer, de la forcer à parler ».
Enfin, le CIVD est non seulement un lieu
de rencontres mais aussi permet le suivi et la pérennité des relations
entretenues par les différents étudiants qui y passent. Faut-il le souligner,
les relations entre étudiants durent en général le temps d’un cours et ont
tendance à disparaître dés qu’il s’achève. Par contre avec le CIVD, ces relations
se maintiennent et se développent, créant ainsi partout où se trouve un de ses
membres, des remembrements et des réseaux. On peut
parler, comme le fait Couëdel, de l’effet rhizomatique du dispositif au sens où
l’entend Deleuze (1980). La réalisation des projets donne lieu à des
prolongements souterrains et inattendus ici et ailleurs : « Un
rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant
telle ou telle de ses lignes et suivant d'autres lignes » disait Deleuze (1980 :16).
Ce sont dans ces relations et dans
l’esprit du dispositif que les rhizomes ont été à l’origine de la création de
L’AMAP[5] qui, à
son tour, prolonge le dispositif.
Pour reprendre Blondeau et Couëdel (2005)
et en guise de conclusion, nous pouvons avancer que : « Notre
conception de l’éducation est une démarche d'émancipation des sujets sociaux
qui transforment le monde tout en se transformant eux-mêmes », capables de s'adapter aux nouvelles
réalités sociales et économiques ou de les combattre. « Il s'agit de susciter chez les étudiants
un questionnement permanent sur le monde, une interrogation sur leur place et
leur engagement, sans occulter ce qui paraît antagoniste ni neutraliser ce qui
se présente comme concurrent. C'est l'accès à la complexité ».
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[1] Ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, personnels sociaux et de santé.
[2] http://www.archives-video.univ-paris8.fr/video.php?recordID=108 : Vivre la langue (1978) film d’Annie Couëdel et ses étudiants / Département FLE / (Durée
57mn) diffusé lors du 2ème colloque international organisé par le G.R.A.L (Groupe de Recherche sur l’Acquisition d’une langue)
comme support de son intervention avec ses étudiants : « Vivre la langue. De la communication à la langue”, Champs éducatifs n°3 (1981).
[3] DDJS : Direction
Départementale de la Jeunesse et des Sports.
[4] F.S.D.I.E : Fonds de
Solidarité et D’aide à l’Initiative Etudiante.
[5] L’AMAP. : Amitié des peuples du monde, association loi 1901 créée en 2005 et qui est aujourd’hui une O.N.G. représentée dans plusieurs pays (http://amitie-peuples.net/)
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