Le CIVD comme exemple de dispositif d’intervention/insertion sociale

Diakhaté Assane - Dimitrova Gergana

Université Gaston Berger de Saint-Louis – Étudiante en thèse Université Paris 13

Résumé

La question de l’insertion des étudiants dans l’institution universitaire, rarement prise en charge par les institutions, reste plus que d’actualité face à la mondialisation, la globalisation et la mobilité des étudiants. La réussite dans les études supérieures et la réduction du taux d’abandon et d’échec supposent l’insertion de l’étudiant dans l’institution corollaire de l’apprentissage de son « métier d’étudiant ». Ces préoccupations se situent au cœur du Dispositif de Pédagogie de Projet : intervention/insertion (DPP:i/i). Il s’inscrit dans le courant des pédagogies sociales avec Freire et Freinet, et des théories d’apprentissages socioconstructivistes de Vygotski et de Bruner. En d’autres termes, la conception de l’éducation qui sous-tend ce dispositif s’appuie sur une démarche d'émancipation des sujets sociaux. A cet effet, des structures parallèles ont été conçues à l’université Paris 8 pour susciter chez les étudiants un questionnement permanent sur le monde, une interrogation sur leur place et leur engagement. Dans ce texte, on se centre principalement sur une des structures créées, le Centre Interculturel Vincennes Saint-Denis (CIVD).

 

 

Mots clés 

Langage légitime, intervention/insertion sociale, pédagogie de projet, dispositif interculturel, université.

 

L’entrée dans l’enseignement supérieur représente une période transitoire marquée par plusieurs changements et ruptures tant sur le plan institutionnel, culturel, social, personnel, que dans le rapport au savoir et aux façons d’apprendre. De nombreux chercheurs se sont intéressés aux différents aspects de la vie universitaire.

Dans une étude récente sur les relations entre les étudiants, les enseignants et le personnel IATOSS[1], Coulon et Paivandi (2008) notent que les rapports humains, le plus souvent qualifiés de « négatifs », constituent une des dimensions critiques de la vie universitaire. Selon cette recherche, les transformations culturelles et politiques survenues dans l’enseignement supérieur ont eu un impact sur le paysage universitaire et la qualité des relations interpersonnelles.

D’une part, depuis les trente dernières années, on assiste à un changement tant au niveau de la massification de l’enseignement supérieur que du profil des étudiants. Aujourd’hui, un étudiant sur sept est étranger et un étudiant sur sept est en reprise d’études. D’autre part, ces changements modifient également les attentes des étudiants et leur rapport au savoir (Coulon et Paivandi 2008 :8). Car le contexte pédagogique constitue avant tout un contexte social.

«La première tâche qu’un étudiant doit accomplir lorsqu’il arrive à l’université est d’apprendre son métier d’étudiant» (Coulon 2005 :1). Comme nous le rappelle Coulon, le problème n’est pas tant d’entrer à l’université mais d’y rester, d’acquérir un nouveau statut social, une nouvelle appartenance. Aujourd’hui les universités continuent à enregistrer un taux important d’échecs et d’abandons.

Dans sa recherche sur le métier d’étudiant, Coulon analyse le devenir étudiant comme processus social qui passe par trois étapes-clés. Il distingue un premier moment - le temps de l’étrangeté. C’est le moment où l’étudiant est confronté à un nouvel espace, où il rentre dans un monde inconnu. Le deuxième moment, c’est le  temps d’apprentissage  pendant lequel l’étudiant s’approprie le langage universitaire.

Et en dernier lieu, c’est la phase de l’affiliation qui est caractérisée par une certaine maîtrise des codes et de la culture universitaires. Pour Coulon, les étudiants qui n’arrivent pas à s’affilier- institutionnellement et intellectuellement, échouent.

Apprendre à être étudiant, c’est apprendre d’abord l’institution. S’insérer, s’intégrer dans un nouvel univers, afin d’y devenir un acteur social actif et être reconnu comme tel ne va pas de soi. Les étudiants doivent acquérir de nouveaux codes, apprendre les rouages de l’institution, acquérir une nouvelle culture afin d’investir ce nouveau lieu comme espace de vie. L’entrée dans la vie universitaire implique la mise en place de dispositifs d’insertion pour les nouveaux arrivants.

Or, de tels dispositifs sont souvent inexistants sinon fort limités en matière d’efficacité. Leur conception nécessite une réelle réflexion pédagogique. L’apprentissage à l’université prend un sens nouveau pour les étudiants. Ce sont de jeunes adultes en quête d’autonomie et qui bénéficient d’un statut provisoire car la vie universitaire est une période transitoire vers la vie active. D’après Coulon et Paivandi, « il s’agit pour l’étudiant de développer une approche nouvelle du savoir dans laquelle le dialogue permanent avec l’enseignant est un enjeu majeur car il faut d’abord saisir le sens de cet apprentissage, en acquérir les outils intellectuels et méthodologiques, ajuster ses habiletés métacognitives, afin de maîtriser progressivement les ‘‘ficelles du métier’’»  (op.cit. p.8).

Dans cette optique comment l’étudiant peut-il s’approprier le nouvel espace? Comment l’amener à comprendre et transcender les différents rôles et enjeux qui sont au carrefour des études, de leur organisation et des activités connexes?

Dans quelle mesure le pouvoir des enseignants et des administratifs de l’établissement peuvent-ils s’équilibrer en prenant en compte la participation des étudiants en tant qu’acteurs sociaux à part entière ? Quel pourrait être leur rôle émancipateur ?

Par l’exemple d’un dispositif pédagogique mis en place à l’université Paris 8, ce texte se propose d’apporter quelques pistes de réflexion sur l’insertion des étudiants dans le système universitaire.  Notre contribution s’appuie sur un long vécu à l’intérieur de ce dispositif, sous différentes formes de participation : tout d’abord en tant qu’étudiants - en sciences de l’éducation concernant Assane Diakhaté, en didactique des langues concernant Gergana Dimitrova - ensuite en tant qu’observateurs-participants, posture que nous avons été amenés à adopter lors de nos recherches respectives. Ces différentes expériences partagées avec Annie Couëdel et Nicole Blondeau, co-animatrices des ateliers de « Conception et réalisation de projets », ont une double signification pour nous : elles ont été une aventure humaine et un lieu de partage et d’interrogations sur notre conception de l’éducation dans sa dimension politique et sociale. Enfin, nous avons nous-mêmes été chargés d’assurer, pendant deux ans, cet enseignement tout en étant membres actifs du CIVD.

Il s’agira, dans un premier temps, de présenter le dispositif et son fonctionnement, en termes d’interventions sociales et de générateurs de dispositifs. Dans un deuxième temps, nous montrerons, par le biais du Centre Interculturel de Vincennes à Saint-Denis, les effets du projet sur les étudiants dans la dynamique d’appropriation universitaire et d’insertion.

Le dispositif de pédagogie de projet : intervention/insertion (DPP : i/i). Un exemple de dispositif d’insertion universitaire

Le dispositif expérimental conçu par Annie Couëdel (1981)[2] dans les années 70, s’inscrit dans le courant des pédagogies sociales avec Freire (1977, 2006) et Freinet (1994), et des théories d’apprentissages socioconstructivistes de Vygotski (1997) et Bruner (1987).

Il se distingue du « faire semblant d’être ensemble » de la pédagogie traditionnelle qui se caractérise par des apprentissages individuels, normés et normalisés. C’est un dispositif de recherche-action participative qui place au centre le projet collectif. Ici, le projet est l’émanation d’initiatives personnelles qui génèrent des pratiques sociales diverses mettant à l’épreuve la créativité et le développement de l’esprit critique des étudiants. La participation à la réalisation d’un projet commun, de sa conception à la réalisation finale, offre la possibilité aux étudiants d’explorer le tissu institutionnel, de découvrir les différents services et espaces qu’ils pourront investir, de tisser des liens autrement plus complexes au sein du groupe mais aussi avec les différents acteurs de l’université. L’enseignant y tient un rôle de coordonnateur et de personne ressource qui accompagne les participants dans la mise en œuvre des projets dont ils sont auteurs-acteurs au sens où l’entend Jacques Ardoino (1999).

Comme le souligne Couëdel, se référant à Paulo Freire (1977), « la parole est toujours l’unité dialectique entre action et réflexion, entre pratique et théorie, l’éducateur n'étant pas au service d’une ‘science neutre’ et d’une pédagogie apolitique, mais d’une praxis pour la transformation sociale ».

Les projets sont le pivot du dispositif : ils sont une voie d’action dont la conduite engage directement leurs acteurs dans des activités quotidiennes qui dépassent le cadre institutionnel. Cette pédagogie inscrit le projet dans le monde social car « c’est en interagissant dans le milieu qu’on en acquiert le langage, condition sine qua non pour s’insérer et y agir » (Blondeau et Couëdel 2008).

A la suite des travaux d’Annie Couëdel et de Nicole Blondeau (1997, 2000) et de nos propres observations, nous pouvons dégager les principales caractéristiques des projets conçus dans le dispositif.

Il est important de souligner la dimension collective d’une telle entreprise qui mobilise et engage les compétences de tous les participants. On apprend par et avec les autres, avec nos différences et nos singularités. Mais ce « faire ensemble » dans lequel les étudiants sont entraînés pour la réalisation du projet n’est pas exempt de confrontations et de conflits car chacun agit en fonction de son vécu, ses expériences antérieures, sa culture.  Ainsi, au cœur de ce processus s’inscrit une réelle éducation à l’interculturalité.

Les projets sont ancrés dans une réalité sociale que les étudiants tendent à appréhender, interroger, transformer. La réalisation collective des projets suppose un esprit de création et une gestion de l’imprévu qui lui est inhérent, à la différence d’un enseignement obéissant à une logique de programme dont le contenu est connu d’avance. C’est dans ce sens qu’Ardoino (1984) distingue le « projet-visée », impliquant des dynamiques de ré-invention du quotidien du « projet programme ».

Dans ce processus, les étudiants sont confrontés aux réalités de l’environnement, aux règles institutionnelles qu’il faudra comprendre et inclure dans leurs démarches afin de s’y conformer ou de les transgresser. Ils intègrent progressivement les codes et les normes socio-culturels de l’institution, y compris langagières, cette maîtrise étant le garant de leur insertion à l’université.

Or, une telle conception du projet exige un autre rapport au temps et à l’espace tel que limité par le cadre universitaire, ce qui suppose une articulation entre « intérieur et extérieur », entre «local » et « global » (Couëdel et Stamelos 2002).

La nature même du projet, « oblige à prendre en compte tous les paramètres de la situation, la multiplicité des variables. Il n’est pas défini une fois pour toutes et peut se transformer en fonction des circonstances, de ce qui advient et n’était pas prévisible. Les promoteurs vont donc développer des stratégies inédites, inventer des ripostes adaptées pour répondre à l’inattendu, l’accident, la surprise. Le projet s’inscrit dans la complexité du réel » (Blondeau et Couëdel 2008)

 

L’architecture et le fonctionnement du dispositif

 

Le dispositif se structure selon une alternance de travail en groupe-classe (grand groupe) et en groupes-projet, selon un « rituel » qui se déroule ainsi : grand groupe/groupes-projet/grand groupe. Cela est conforme au principe d’alternance cher à Montandon (2002) qui rompt avec la monotonie des dispositifs technicistes. Le travail en groupes-projet est toujours précédé et suivi d’une plénière animée par l’enseignant.

La première séance en plénière est un espace d’échanges et de réflexions autour de sujets choisis par les étudiants selon l’actualité socio-politique ou leurs propres préoccupations quotidiennes.

La plénière qui a lieu à la fin des ateliers en groupes-projet  permet de rendre compte de l’avancée de chaque groupe et de faire l’évaluation de ce qui est en jeu. La spécificité de l’architecture réside dans cette disposition qui contribue à une meilleure régulation du temps et de l’espace assurant la cohésion de l’ensemble des participants.

L’aménagement de l’espace est pensé pour favoriser les échanges et les interactions des participants entre eux et l’enseignant : les tables sont disposées en cercle afin de mettre  l’accent sur la relation horizontale qui caractérise l’approche pédagogique du dispositif. Le rôle de l’enseignant, absent du travail en sous-groupe ou groupes-projets, est réduit à une participation minimale qui ne s’effectue qu’à la demande explicite des étudiants ou en cas de conflits importants nécessitant son intervention en tant que modérateur ou personne ressource. Cette démarche s’inscrit en rupture avec la traditionnelle relation pédagogique basée sur les rapports de pouvoir que Bourdieu et Passeron (1970) interrogent.

Les projets émanent des initiatives des étudiants, sous forme de propositions qui émergent d’une discussion en groupes aléatoires, lors de la toute première séance, introduisant les objectifs et le fonctionnement du dispositif. Les propositions initiales sont exposées et débattues par tous en séance plénière. Une attention toute particulière est réservée à la nature des projets qui doivent être en prise directe avec la réalité sociale et avoir prise sur elle. Pendant les premières séances, cruciales pour la mise en place du dispositif pédagogique, l’enseignant joue un rôle de guide dans la constitution des groupes en engageant les étudiants à réfléchir sur l’impact des projets en termes de changements et d’intervention sociale, et par conséquent sur leur capacité d’agir (agency). Les étudiants commencent ainsi à s’approprier les valeurs qui sous-tendent la mise en œuvre du dispositif dont la devise « Soyons réalistes, entreprenons l’impossible! » fait naître des rêves personnels qui se transforment en projets collectifs.

Les ateliers pédagogiques, tels que nous les avons vécus, réunissent des étudiants de différentes disciplines et de tous niveaux. Cette extrême pluralité de  compétences, de niveaux de langue, de cultures et d’histoires personnelles est un puissant moteur d’entraide, de partage de connaissances et de collaborations mutuelles.

L’hétérogénéité du groupe, la place spécifique des enseignants et la non rupture entre intérieur et extérieur créent des situations d’apprentissage où la distinction entre éducation formelle et informelle n’est plus opérante.

Le processus d’apprentissage pourrait donc être appréhendé, selon la perspective des théories de l’apprentissage dit « situé », en tant que processus de participation à des pratiques sociales, à des communautés de pratique (Lave et Wenger 1991, Wenger 2005). Cet agir collectif implique une circulation et une co-construction des connaissances, une transformation de l’identité dans la pratique en même temps que la transformation de la communauté.

En adoptant cette approche de l’apprentissage, le DPP i/i apparaît comme un générateur de multiples situations ancrées dans un contexte spécifique, propre à chaque projet. Ainsi, la participation et l’engagement dans des activités communes autour de la réalisation des projets induisent des apprentissages contextualisés, locaux. Dans une perspective de l’acquisition d’une langue seconde, les étudiants étrangers, tout comme les étudiants français qui ne possèdent le « langage légitime » comme « droit à la parole », le « capital d’autorité » (Bourdieu 1982), sont propulsés dans des pratiques sociales de négociation, de prises de parole qui leur permettent de s’approprier progressivement la langue et le « langage autorisé ».

En outre, chaque étudiant doit tenir un journal de bord hebdomadaire où il consignera les réflexions personnelles et les différentes activités liées à l’avancement de son projet. Le journal est conçu comme outil pédagogique.

En effet, dans les dispositifs traditionnels, il est rare de trouver des occasions de pratiquer une écriture libre, « au fil de la plume » qui ne donnera pas lieu à des « corrections sanctions », sources de blocage. Dans cet apprentissage de la langue, les compétences orales et écrites sont développées dans différentes situations aussi bien dans la réalisation des projets, mais aussi dans la création d’un journal commun à tout le groupe, dénommé ECHOgraphie, destiné à être diffusé à un public extérieur.

 

Le CIVD – un lieu d’accueil, initiateur de dynamiques d’intervention sociale au sein de l’université

Le CIVD est une association loi 1901 créée en 1984 à l’issue du premier festival interculturel organisé par un groupe d’étudiants du DPP : i/i. Le festival a eu comme effet d’éveiller l’esprit vincennois qui puisait sa force dans des actions communes et une ouverture sur l’extérieur. Le désir de rencontres, de « faire ensemble », de réinvestir l’université s’est formalisé par l’idée de créer un espace d’accueil et d’échange pour les différents acteurs de l’institution.

L’envie de prolonger ce qu’a toujours été l’ambition de Vincennes, inventer de nouvelles dynamiques par la confrontation d’expériences culturelles diverses, a ainsi conduit à la création du Centre Interculturel, suscitant l’intérêt des étudiants, mais aussi du personnel et des enseignants.

C’est donc dans ce contexte historique que le CIVD inscrit son histoire comme l’une des plus grandes organisations de l’université Paris 8. Deux grandes étapes caractérisent les actions du CIVD : une première période qui se situe dans les années 80 avec des activités se déroulant plus particulièrement au sein de l’université et une seconde période où le CIVD, aux prises avec des logiques politiques de contrôle social, va développer des projets internationaux.

Notre expérience au CIVD commence, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, grâce aux ateliers pédagogiques auxquels nous avons participé, en 2003 et 2004. Il s’agissait pour nous de « ressusciter » le projet festival à l’occasion du 20ème  anniversaire de l’association. En effet, des réticences institutionnelles, dues aux conflits d’intérêt internes à certaines structures de l’université désirant avoir la main mise sur les activités culturelles et associatives, ont entravé le bon déroulement des festivals interculturels, dont celui de 1990 censuré par l’autorité centrale.

Il est important ici de souligner le rôle que nous avons joué dans la mise en œuvre de cette manifestation, Assane Diakhaté en tant que président du CIVD et Gergana Dimitrova, étudiante ayant choisi d’intégrer le groupe-projet festival, aux côtés des « anciens » membres du CIVD.  C’est là l’illustration de la particularité du cours qui voit revenir fréquemment des étudiants des années après l’avoir suivi. La conception de l’apprentissage qui sous-tend le dispositif pédagogique remet en question la notion même de transmission de savoirs en créant la possibilité de conjuguer, en les ancrant dans des situations concrètes, différentes compétences, mêmes celles venant de l’extérieur de l’université.

Cet engagement commun est d’autant plus visible lorsqu’il est question de s’intégrer à la vie du CIVD en tant que « communauté de pratique » (Wenger 2005).

Les apprentissages traduisent alors le processus d’intégration et d’appartenance à la communauté.

Ainsi, ce projet nous a permis non seulement de découvrir l’organisation interne de l’université, avec sa bureaucratie, tout comme l’héritage de l’esprit de Vincennes avec des structures au service des étudiants déterminés à briser les barrières administratives. La  connaissance des engrenages institutionnels nous a conduits à collaborer avec différents acteurs de l’université, depuis des agents du service de sécurité et de la reprographie, jusqu’à la présidence.

Les activités dans lesquelles nous nous sommes plus particulièrement impliqués, telles que le montage de dossiers de recherche de financements et de partenariat, ainsi que la réalisation d’une exposition de différentes œuvres d’art, ont généré des apprentissages spécifiques à ces situations.

 

Le CIVD : un dispositif générateur de dispositifs

Le CIVD constitue un dispositif au sens que lui donne Lapassade à savoir « une forme d’organisation » (in Ardoino et Lourau, 1994). Il répond aussi à la notion de dispositif en socianalyse, selon Ville (2009), c’est-à-dire une disposition spécifique dont la forme permettra  de travailler le fond. Ce sont les participants qui déterminent les principes de fonctionnement et les règles de vie.

Mais plus encore, il est lieu d’échange interculturel et d’accompagnement à l’élaboration de projets. En effet, chaque année le CIVD accueille des initiatives d’étudiants pour la mise en œuvre de projets au sein de l’université.

Le moment où l’association fêtait ses 20 ans d’existence, en 2004, a été marqué par une fusion de projets locaux et à l’international.

C’est ainsi que des projets comme le festival interculturel du CIVD, le Journal  CULTUR’8, le projet intitulé « A la rencontre des enfants de la rue de Dakar Plateau », la construction d’une bibliothèque à  Kouvé au Togo et à Darou Mousty au Sénégal, ont été initiés et mis en œuvre par différents participants, étudiants et non étudiants.

Les ateliers de pédagogie de projet se déroulent dans un espace spatio-temporel bien déterminé mais régis par des temporalités institutionnelles. Les projets qui y naissent et qui dépassent la durée d’un semestre vont trouver un lieu d’aboutissement grâce au CIVD. L’engagement et la participation des étudiants sont ici la traduction d’une autre conception de l’apprentissage. Ce qui est visé ne se mesure pas en termes de validation et d’évaluation de compétences mais en termes de processus de négociation de sens. Le CIVD devient à cet effet une sorte de relais des ateliers pédagogiques ainsi que l’interlocuteur privilégié de tout porteur de projets. Il se transforme par conséquent en un dispositif particulier dans le dispositif de pédagogie de projet.

Réaliser des projets requiert une certaine expérience en matière de montage de dossiers, de recherche de financement, de disposition de moyens logistiques, de médiation avec le tissu administratif de l’université, etc. Le CIVD, avec ses membres qui sont pour la plupart des étudiants déjà « expérimentés », son statut officiel ayant une reconnaissance institutionnelle, avec un agrément de la DDJS[3], offre un cadre idéal pour la concrétisation des initiatives étudiantes.

Ainsi une réponse est donnée à l’exigence de certains organismes, comme le FSDIE[4], posant comme préalable à un dépôt de dossiers de demande de subvention, l’engagement par une association porteuse. Il se propose de porter les projets et d’en être garant auprès de l’institution universitaire.

Au sein du CIVD et au cours des activités menées pour la mise en place des projets, les étudiants s’insèrent dans l’institution en intégrant les nouveaux codes sociaux et culturels, s’approprient le cadre environnant, aussi bien l’université que les autres institutions locales. L’immersion en situation les confronte aux lois et aux contraintes institutionnelles dont ils apprennent les logiques sous-jacentes. Cet apprentissage engendre un sentiment d’appartenance, d’affiliation et ils prennent conscience de leur rôle d’auteur- acteur.

Le rôle du CIVD, en tant qu’association contribuant à l’insertion des étudiants dans le milieu universitaire constitue, comme le constatent Stamelos et Couëdel (2002), un élément générateur de dérangement, donc « analyseur ». Ils nous renvoient à la définition qu’en  donne Lourau (1970 :283) : « ce qui permet de révéler la structure de l’institution, de la provoquer, de la forcer à parler ».

Enfin, le CIVD est non seulement un lieu de rencontres mais aussi permet le suivi et la pérennité des relations entretenues par les différents étudiants qui y passent. Faut-il le souligner, les relations entre étudiants durent en général le temps d’un cours et ont tendance à disparaître dés qu’il s’achève. Par contre avec le CIVD, ces relations se maintiennent et se développent, créant ainsi partout où se trouve un de ses membres, des remembrements et des réseaux. On peut parler, comme le fait Couëdel, de l’effet rhizomatique du dispositif au sens où l’entend Deleuze (1980). La réalisation des projets donne lieu à des prolongements souterrains et inattendus ici et ailleurs : « Un rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d'autres lignes » disait Deleuze (1980 :16).

Ce sont dans ces relations et dans l’esprit du dispositif que les rhizomes ont été à l’origine de la création de L’AMAP[5] qui, à son tour, prolonge le dispositif.

Pour reprendre Blondeau et Couëdel (2005) et en guise de conclusion, nous pouvons avancer que : « Notre conception de l’éducation est une démarche d'émancipation des sujets sociaux qui transforment le monde tout en se transformant eux-mêmes », capables de s'adapter aux nouvelles réalités sociales et économiques ou de les combattre. « Il s'agit de susciter chez les étudiants un questionnement permanent sur le monde, une interrogation sur leur place et leur engagement, sans occulter ce qui paraît antagoniste ni neutraliser ce qui se présente comme concurrent. C'est l'accès à la complexité ».

 

 

 

 

 

 

 

 

Références bibliographiques 

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Ardoino, Jacques. 1999. Education et politique. Paris, Anthropos.

 

Blondeau, Nicole et Couëdel, Annie. 1997. "Un dispositif pédagogique interculturel. La pédagogie de projet : insertion/intervention" in Communication interculturelle 45-56. Actes du 2ème Colloque Franco-Sibérien, Université des langues d’Irkoutsk 23-25 septembre 1997.

 

Blondeau, Nicole et Couëdel, Annie. 2000. "Pédagogie de Projet, Journal de Bord et Appréhension de la Diversité Culturelle".  Dialogues et Cultures 44 : 36-51.

 

Blondeau, Nicole, Couëdel, Annie et Kalentieva, Tatiana. 2001. « Interculturalité et Lien Social : un Dispositif de Rencontres Internationales. Le Triangle de l’Ecumeur ». Dialogues et Cultures 45 : 388-393.

 

Blondeau, Nicole et Couëdel, Annie. 2002. "Une Pédagogie Critique à l'Université. Pédagogie de l’Action et de Transformation Sociale". Pratiques de formation/analyses 43 : 27-39.

 

Blondeau, Nicole et Couëdel, Annie. 2005. "Entreprendre pour apprendre". Les     IrrAIductibles 7: 251-259.

http://www.cerpam.com/fr/pedagogie/ressources-documentaires/188-entreprendre-pour-apprendre, consulté le 20/09/2011.

 

Blondeau, Nicole et Couëdel, Annie. 2008. "Une Pédagogie Interculturelle de Transformation Sociale".  Les IrrAIductibles 13 (II) : 57-72.

 

Bourdieu, Pierre et Passeron Jean-Claude. 1970. La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris, Editions de Minuit.

 

Bruner, Jérome Seymour, 1987. Comment les enfants apprennent à parler. Paris, Retz.

 

Couëdel, Annie. 1981. “Vivre la langue. De la communication à la langue”. Champs éducatifs 3 : 37-76.

 

 Couëdel, Annie et Stamelos, Yorgos. 2002. "Paris 8 et le CIVD. Les rapports entre le ‘central’ et le ‘local’". Les irrAIductibles 1 : 353-367.

 

 

 

Coulon, Alain. 2005. Le métier d’Étudiant. L’entrée dans la vie universitaire, Paris, Anthropos-Economica.

 

Coulon, Alain et Paivandi, Saeed. 2008. « État des savoirs sur les relations entre les étudiants, les enseignants et les IATOSS dans les établissements d’enseignement supérieur », Rapport pour l’OVE. www.ove-national.education.fr, consulté le 02/09/2011

 

Deleuze, Gilles et Guattari, Félix. 1980. Mille plateaux. Paris, Editions de Minuit.

 

Freinet Célestin. 1994. Œuvres pédagogiques. Paris, Seuil.

 

Freire, Paulo. 1977. Pédagogie des opprimés. Paris, Maspero.

 

Freire, Paulo. 2006. Pédagogie de l’autonomie. Ramonville-Saint-Agne, Erès.

 

Lave, Jean et  Wenger, Etienne. 1991.  Situated Learning. Legitimate Peripherical Participation. Cambridge, Cambridge University Press.

 

Montandon, Christiane. 2002.  Approches systémiques des dispositifs pédagogiques : enjeux  et méthodes. Paris, Budapest, Torino, L'Harmattan.

 

Ville Patrice, Gilon Christiane (avec Fillion Fabienne). 2009. "C’est arrivé demain dans les centrales nucléaires", in Histoire de la conduite nucléaire 100 ans.  Paris, EDF.  

 

Vygotski Lev Sémionovitch. 1997. Pensée et langage, Paris, La Dispute.

 

Wenger Etienne. 2005. La théorie des communautés de pratique. Apprentissage, sens et identité, Les presses de l’université Laval.

 



[1] Ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, personnels sociaux et de santé.

[2] http://www.archives-video.univ-paris8.fr/video.php?recordID=108 : Vivre la langue (1978) film d’Annie Couëdel et ses étudiants / Département FLE / (Durée 57mn) diffusé lors du 2ème colloque international organisé par le G.R.A.L (Groupe de Recherche sur l’Acquisition d’une langue) comme support de son intervention avec ses étudiants : « Vivre la langue. De la communication à la langue”, Champs éducatifs n°3 (1981).

[3] DDJS : Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports.

[4] F.S.D.I.E : Fonds de Solidarité et D’aide à l’Initiative Etudiante.

[5] L’AMAP. : Amitié des peuples du monde, association loi 1901 créée en 2005 et qui est aujourd’hui une O.N.G. représentée dans plusieurs pays (http://amitie-peuples.net/)

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